EP.18 : Blaise Desbordes de Max Havelaar France – Le commerce équitable pour un monde plus juste

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C’est au cœur du Château Etic de Nanterre que Blaise Desbordes de Max Havelaar France nous reçoit durant cette période particulière qu’est celle du Covid 19. Après 15 ans à Montreuil, Max Havelaar a migré depuis un an et demi vers ce joli lieu, un Cluster de l’économie sociale et solidaire orienté vers la transition alimentaire. Labellisant des milliers de produits équitables alimentaires, l’équipe de Max Havelaar France a rejoint cet endroit qui lui a permis de se rapprocher d’autres structures de l’ESS et d’autres organisations associatives à impact. Blaise Desbordes nous partage le parcours de cette organisation avant et après son arrivée en 2017. Voici quelques unes des questions abordées :

  1. Quel est ce parcours qui vous a amené à être Directeur Général de Max Havelaar France ?
  2. En parlant de bio, de label, comment labellisez-vous les entreprises et pourquoi est-ce qu’elles vous choisissent ? Quel est le parcours de Max Havelaar ?
  3. Comment se passe la labellisation ? Et quelles sont les actions de communication marketing que vous avez lancées en B2C ?

M.S : Bonjour Blaise !

B.D : Bonjour Melody !

M.S : Quel est ce parcours qui vous a amené à être Directeur Général de Max Havelaar France ?

B.D : C’est assez classique, car c’est un engagement au développement durable et l’idée de contribuer quelque part à rendre ce monde plus durable. Spontanément, je me suis demandé si le fait de travailler pour l’État, les ministères, les lois ou les traités pouvait contribuer à la régulation publique. J’ai passé quelques années dans le monde des ministères et de l’administration. Par la suite, je me suis demandé si ce n’était pas plutôt l’entreprise qui participait le plus au développement durable. C’est ainsi que dans mon parcours, j’ai pu être responsable développement durable d’une grande entreprise publique en essayant les métiers de la finance pour y mettre les petites graines du développement durable.

Finalement, ma conviction s’est fondée dans le monde des ONG, c’est-à-dire le monde des associations qui ont un projet ou une cause sociétale.

Elles essaient de la défendre par plusieurs outils différents, tels que le plaidoyer, le partenariat avec des entreprises, des produits que les consommateurs achètent, l’éducation et la sensibilisation. Ces métiers sont parmi les plus efficaces pour relever le défi du développement durable. Voilà pourquoi je suis arrivé chez Max Havelaar en 2017.

M.S : Est-ce qu’il y avait déjà une appétence pour le sujet de l’alimentation et du commerce équitable ?

B.D : Forcément, une appétence. Lorsque l’on s’intéresse à cette question, on est amené à côtoyer et croiser des personnes dans l’alimentation. Un des “drivers principaux”, je dirais, des nouveaux paradigmes du développement durable, c’est le bio. Pour la première fois, les gens ont décidé de mettre des cahiers des charges de ce qui est autorisé ou non, pour que demain, le secteur agricole aille mieux et que les gens aillent mieux. Ce sujet date des années 1970, alors que l’on ne parlait pas encore de développement durable, sauf à Stockholm, en 1972, sans que personne ne soit au courant. Mais forcément, l’alimentation est toujours là.

D’autre part, l’alimentation a cet avantage de toucher au cœur les gens, c’est très intime, ça touche leur santé, leurs enfants... Aujourd’hui, nous pouvons le constater durant la période du Covid 19 et d’après un sondage que nous avons réalisé il y a quelques jours : l’alimentation est un choix responsable. Les gens décrochent un peu des produits d’entretien, des produits cosmétiques de beauté et veulent se concentrer sur l’essentiel, être plus responsables, plus verts, plus en respect de l’environnement, c’est pour ça que les produits alimentaires résistent à la crise.

Les consommateurs continuent d’acheter bio, local et équitable.

M.S : D’après les études que vous avez menées, quels sont les produits alimentaires qui ont vu une croissance dans les achats ?

B.D : Beaucoup de produits frais, les gens vont plus au marché et à l’épicerie du quartier. Pour ce faire, ils vont spontanément et directement aller vers le producteur. C’est pourquoi, les fruits et légumes sont bien en hausse. Cependant sur les produits que nous aimons au quotidien, comme le café, le chocolat et pour beaucoup les fruits comme la banane, cela se maintient, avec une augmentation parce que ce sont des valeurs refuge dans une période de stress.

Paradoxalement, les études montrent aussi que les gens veulent plus de local. Ainsi, dans le baromètre que nous allons publier dans quelques jours, nous nous sommes rendu compte qu’après le Covid et le confinement, il y a de plus en plus de demandes à ce niveau : quasiment 75 % des gens veulent du 100 % local. Après, si on leur explique que les produits qu’ils consomment au quotidien sont des produits importés, notamment le café, le chocolat ou le quinoa, on s’aperçoit certaines personnes ne sont pas prêtes à les abandonner, alors que d’autres préfèrent vraiment privilégier le circuit court. 

M.S : Est-ce que les gens ont cette notion de consommer ce qui peut-être cultivé en France ?

B.D : Progressivement, ils y arrivent.

Ce que je pourrais dire, c’est que chacun d’entre nous a plusieurs cordes à son arc de l’alimentation durable ou responsable.

Vous avez comme première corde la carte bio, c’est-à-dire le fait de se préoccuper de savoir s’il y a des produits nocifs pour la terre ou pour votre santé dans ce que vous mangez. Cela est bien établi, relativement lisible, c’est un axe qui fonctionne bien. Mais le bio ne protège pas les gens. Vous pouvez avoir des gens exploités, payés au lance-pierre, des agriculteurs qui sont mal payés pour leur production y compris en bio.

D’où la deuxième corde, l’économie équitable, c’est-à-dire un juste prix, une négociation équilibrée, et la prise en compte de l’autre dans la discussion commerciale. Cela progresse aussi très bien ces dernières années dans la conscience des gens et les produits qui ont les deux, le bio et l’équitable ont de très belles croissances, notamment les bananes bio équitables, par exemple qui explosent en France.

La troisième corde est le territoire. Être conscient et faire en sorte que nos consommations ne font pas mourir des territoires. Si un néo-rural veut revitaliser un territoire, il serait absurde d’acheter des légumes qui viennent de 500 km, alors qu’il y en a juste à côté. La dimension territoriale est encore mal identifiée : il n’y a pas de label, pas de cahier des charges. Plus particulièrement, dans un produit composé ou une recette, vous avez des produits qui viennent d’à côté, et d’autres qui viennent de très loin, en fonction du fabricant. De ce fait, la ligne du territoire est un grand défi.

Nous travaillons dessus depuis notre naissance, puisque nous faisons du développement territorial lointain. Nous nous assurons qu’à l’autre bout du monde, quand les consommateurs recherchent du café, du sucre de canne, de la noix de coco qui ne poussent pas en France, qu’ils puissent contribuer à la protection des producteurs, « loin des yeux et loin du cœur ». Max Havelaar a constaté en Afrique et en Asie, “des poches de mieux-être à multi-indicateurs”, c’est-à-dire que dans une sous-région ou autour d’une ville, vous avez :

  • une coopérative importante,
  • des meilleures retombées pour le revenu des travailleurs,
  • la promotion des femmes,
  • des projets collectifs avec des infrastructures,
  • et des projets éducatifs.

Le commerce équitable est ainsi multi-critères et multi-cibles. Il inclut le bio, l’équitable, le territoire, le zéro déchet, l’économie circulaire, le zéro plastique qui connaissent un succès en répondant aux attentes profondes des consommateurs. Pourtant, des labels manquent encore, pour traiter par exemple du « sur-emballement » de certains produits. Quelquefois, on trouve des dilemmes absurdes, par exemple un choix à faire entre un produit bio qui est présenté à côté d’un produit non-bio, avec une obligation de l’emballer plus pour en faire la différence avec le non-bio. Quel paradoxe et quelle absurdité administrative que le vertueux soit obligé de se mettre une couche de plastique autour de lui, alors que le non-vertueux, le polluant, lui, trône librement sur les étalages. Heureusement, le zéro emballage est une tendance qui monte fortement.

Les consommateurs aimeraient bien un label de synthèse qui est à 100 % développement durable. Pourtant, je crains fort que cela n’existe jamais, parce que cela encouragerait des produits extrêmement nichés.

Pour certains produits, ils choisissent leur santé et celle de bébé. Par exemple, les purées pour enfants marchent très bien en bio et bientôt sans doute en équitable aussi.

Avec d’autres produits comme les cosmétiques, nous allons avoir des attentes, comme le 0 parabène d’où le zéro chimique qui va prévaloir, mais les consommateurs ne vont pas forcément penser à l’équitable.

D’autres produits encore, comme les produits très terroirs, dont beaucoup sont dans le secteur de la gastronomie, comme les fromages ou les spécificités territoriales, spontanément le clignotant s’allume pour acheter local et faire penser à la France des milles terroirs, même si le produit n’est pas labellisé bio.

Il existe parfois des contradictions, puisque, certains produits se veulent équitables comme le blé français auquel on met des morceaux de chocolat d’esclavage, très loin d’être équitables. En parallèle, il existe également des paradoxes absurdes où certains vont faire un effort sur un ingrédient, et feront l’impasse sur un autre. C’est pour tout cela que nous avons procédé à des recherches et à des plaidoyers sur la cohérence.

M.S : Avez-vous menés des réflexions sur le commerce équitable Nord-Nord ?

M.S : Max Havelaar était très marqué sur le commerce équitable Nord-Sud, tel que nous le connaissons traditionnellement. Qu’en est-il du commerce équitable Nord-Nord ? Est-ce un terme que vous utilisez dans les milieux de l’alimentation durable sur lesquels j’ai l’impression que Max Havelaar n’avait pas d’activité. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?

B.D : Effectivement, nous avons une réflexion intense à ce sujet.

Nous sommes un mouvement mondial qui implique à-peu-près 75 pays et figurez-vous que ce sont les producteurs du Sud qui nous en parlent.

Deux exemples : les Kényans font du très bon thé qu’ils sont très contents de vendre en Angleterre et en France, mais qu’ils veulent également vendre auprès des classes moyennes kényanes. Ils veulent en faire du Fairtrade, du commerce équitable pour les classes moyennes kényanes qui pourraient acheter à juste prix à des planteurs kényans. C’est ce qu’on appelle le Sud-Sud.

Deuxième exemple en Inde, un gros producteur de canne à sucre : quelques personnes en Inde pourraient acheter du commerce équitable indien à des Indiens. Sous la pression de nos confrères du Sud qui font partie du mouvement, nous avons compris que c’est maintenant un nouvel enjeu, qu’un producteur bien traité, ou mieux traité puisse vendre autour de lui, pas simplement à l’export. Voilà pourquoi, nous nous sommes ouverts à ce sujet.

Nous sommes très contents que cela se développe en France, où l’on peut également trouver des poches de pauvreté et de vulnérabilité. Nous avons été créés il y a trente ans pour apporter des solutions à des poches de pauvreté immenses dans les pays en développement, dans les pays du Sud, très pauvres. Actuellement, nous voyons des situations similaires en France qui se développent dans certains terroirs, dans certaines sous-régions où il y a une déprise agricole, c’est-à-dire que des fermes mettent la clé sous la porte. Pourtant certains produisent du bon lait, du bon blé, mais le jeu de la mondialisation ou la « commoditisation » font que l’agriculture devient un secteur où il y a de la spéculation, et cela entraîne la fermeture de certaines exploitations. Cela est profondément triste. Ainsi, certains agriculteurs du Nord nous demandent d’effectuer ce même concept de développement durable et de commerce équitable développé sur des centaines d’exploitations et de coopératives du Sud.

Nous maintenons ce dialogue que nous élargissons avec tous les autres confrères de l’agriculture bio qui essaient aussi de se pencher sur la question, parce qu’ils ont compris que le bio ne fait pas tout. Il existe du bio industriel, du bio d’exploitation dans le Sud de l’Espagne, dans le Nord du Maroc, ou des serres. Le bio ne répond pas forcément à la question climat, ni à la question équitable. Certains produits issus de l’agriculture biologique répondent au cahier des charges, mais émettent beaucoup trop de gaz à effet de serre dans les serres chauffées et/ou exploitent des travailleurs de manière éhontée, donc le bio ne suffit plus.

M.S : En parlant de bio, de label, comment labellisez-vous les entreprises et pourquoi est-ce qu’elles vous choisissent ? Quel est le parcours de Max Havelaar ?

B.D : Le plus simplement, il y a trente ans, nous avons pris une feuille de papier et nous avons écrit les règles que les producteurs eux-mêmes ont fixées, au Mexique à partir de 1988 près d’Oaxaca, en moyenne montagne, autour d’une coopérative qui s’appelle UCIRI. Premièrement, ils souhaitaient que l’achat de leur café se fasse dans des conditions correctes. Leur slogan était « Trade not Aid ». Ils voulaient du commerce solide, équitable et non pas de la subvention, de la charité ou de l’aide humanitaire. Ils voulaient un prix qui reflète leur coût de production. Il n’est pas acceptable de vendre un produit qui a coûté plus cher à produire que son prix de vente.

Au final, ils ont créé Max Havelaar. Ce document appelé “les standards ou les cahiers des charges” compte une centaine de pages et est disponible en ligne sur www.fairtrade.net. Il explique que le prix est fixé juste au-dessus des coûts de production durable pour qu’au moins, il y ait cette sécurité.

Deuxièmement, ils souhaitaient que leur commerce leur permette de développer des projets. Ce sont des communautés, des entreprises et souvent ils sont tellement justes et pauvres qu’ils ne peuvent ni investir dans une machine, ni dans l’embauche d’un responsable commercial ou d’une personne qualifiée pour défendre leurs intérêts. Une seconde possibilité consiste à avoir une cagnotte, la prime sociale de développement. Elle représente près de 200 millions de dollars aujourd’hui et elle est redistribuée chaque année dans 1700 organisations Max Havelaar. Cela permet à une petite organisation avec 5 000 dollars par an ou à de très grandes organisations avec 500 000 dollars par an, de choisir librement d’investir dans leur avenir, que ce soit dans le social, le culturel, l’outil de travail, dans des bourses pour l’éducation, ou dans un complément de revenu s’ils considèrent qu’ils sont trop pauvres.

Le troisième pilier, c’est la démocratie, c’est-à-dire la concertation au niveau de l’entreprise de production qui s’apparenterait à nos Scops en France. Les agriculteurs se mettent ensemble et co-décident de ce qu’ils doivent faire de leur entreprise coopérative, notamment des cargaisons qu’ils veulent vendre à Max Havelaar. Nous avons énormément de coopératives, de petits producteurs, qui représentent notre emblème. Nous avons été créés dans ce monde-là et nos règles fixent une réunion une fois par an de la coopérative pour prendre les grandes décisions d’investissement dans l’avenir.

Le quatrième pilier est basé sur les conventions de l’OIT pour lier les salariés avec les enjeux des droits de l’Homme :

  • sécurité au travail,
  • droit à un congé maladie,
  • congé maternité.

Cela devrait être une banalité dans l’ensemble des pays du monde, mais ce n’est pas le cas partout. Ainsi, à travers ces règles, Max Havelaar intervient pour appliquer des conventions qui ne sont pas respectées par certains États. Cela est absurde, qu’une petite ONG comme nous, avec de grandes ambitions, doive veiller à appliquer ce que les États ont signé, mais qu’ils ne sont pas capables de respecter.

Le cinquième pilier est l’environnement. Ils ont décidé d’écrire des règles environnementales, minimales, un plan de gestion de l’eau, des déchets, du recyclage, l’interdiction totale des OGM et l’établissement de bonnes pratiques agro-écologiques pour un impact maximal. Voilà le contenu du texte.

Avec ce texte, nous sommes allés voir des entreprises pour déterminer si elles étaient prêtes à acheter et à signer sous ces conditions. Les premières PME adhérentes ont développé une gamme de chocolat ou de café, en étant prêtes à respecter le texte. A chaque fois, l’entreprise signe et s’engage à respecter les règles de Max Havelaar. Par la suite, elle continue de jouer le jeu, et se fait contrôler par nos soins, pour assurer qu’elles font bien du commerce équitable. Tous les ans, un audit a lieu pour confirmer qu’elles respectent le fameux cahier des charges. De cette manière, nous contrôlons :

  • l’exploitation agricole,
  • l’entreprise qui achète ses produits et les transforme
  • la présence du logo montrant la signature de cet engagement.

Toute l’idée un peu géniale des fondateurs de Max Havelaar est de dire que le consommateur doit le savoir.

Il est important de montrer au consommateur tout le circuit du bon produit. Dès lors, la création d’un label a été décidée et les deux créateurs ont dessiné une petite tête avec un héros, une sorte de Robin des bois avec le nom de Max Havelaar, qui est un héros de roman néerlandais. Il a été dessiné sur les premiers paquets de café et a évolué un peu dans le temps. Le dispositif a été mis en place et plus de 2 000 entreprises ont joué le jeu, de la plus petite à la plus grande. Aujourd’hui, 35 000 produits portent ce logo à travers le monde, et il y a environ 3 000 à 4 000 audits de contrôle.

Force est de constater que nous avons été victimes de notre succès, et en même temps cela s’explique par le fait que tout cela relève du bon sens : c’est tellement logique de ne pas avoir du plaisir de consommer quand cela génère de la misère chez les autres

Nous avons débuté avec le café, puis nous nous sommes diversifiés dans divers autres produits.

Première évolution : nous avons dû nous adapter à d’autres types de cultures. Avec du safran, du poivre, de la mangue, de la noix de coco, d’autres problématiques se posaient alors. Aujourd’hui, nous détenons 13 filières, mais il y a eu beaucoup d’adaptations à mener.

Dans le café et le cacao, il y a le petit modèle d’un planteur avec sa famille de six personnes pour deux hectares. Ils sont des millions à être dans cette situation, ils cultivent et produisent un bon café. Ensuite, ils se font racketter pour un sac à un prix dérisoire. Nous avons changé ce modèle pour ces producteurs de petites parcelles pour qu’ils adhèrent à une coopérative.

Dans la banane, c’est plus compliqué. Il y a des modèles coopératifs qui possèdent le foncier par exemple, ce ne sont pas les mêmes personnes. Peut-être que les parcelles sont plus grandes. Une des choses qui a évolué, c’est que nous avons certifié plus de monde dans la banane, vu le nombre de personnes concernées dans certains pays. Tout en sachant qu’il y a 30 % des ventes de bananes qui sont labellisées Max Havelaar, en Angleterre ou en Suisse par exemple. Aujourd’hui, ce sont des centaines de milliers de tonnes, soit 700 000 tonnes de bananes Max Havelaar, qui correspondent à des bateaux entiers.

D’une part, nous avons donc diversifié les filières, et d’autre part, la deuxième évolution concerne la taille et la logistique. Nous avons donc dû nous adresser à des personnes qui ont des bateaux. Je pense que nos prédécesseurs en France ont eu ce courage d’entrer dans le monde très dur des négociants.

Effectivement, le monde des matières premières est violent. Heureusement, beaucoup d’entreprises ont accepté de changer.

Infographie commerce équitable Max Havelaar France

M.S : Quelles sont les tailles des 2000 entreprises labellisées ?

B.D : Je ne peux pas donner de réponse unique, il y a d’abord différents métiers avec des blocs d’entreprises appelés des négociants, le container où le sac de café de Max Havelaar passe dans leurs entrepôts. Nous sommes obligés de certifier ces entreprises. Il s’agit ici en général de tous les intermédiaires, les négociants et les grossistes.

Nous travaillons également avec les fabricants qui, comme leur nom l’indique, fabriquent un produit en faisant mûrir la banane, en torréfiant le café ou en créant un cookie, un lait à la vanille, ou autres. Ce fabricant peut également acheter 10 tonnes de cacao et pour éviter qu’il en revende plus par la suite, nous allons contrôler ses flux.

Parallèlement,

nous collaborons avec de très petites PME qui sont les premiers alliés du commerce équitable.

Elles sont constituées de personnes valeureuses, engagées dans l’ESS, et des coopératives de production qui veulent changer le commerce, comme nous avons voulu le faire. Elles sont positionnées, comme c’est le cas de Lobodis en Bretagne, un partenaire historique dès 1993 et qui a sorti le premier paquet de café équitable en France. C’est une entreprise familiale pionnière, engagée dans son territoire. Elle fait travailler des handicapés d’un ESAT, possède une démarche RSE régionale bretonne très puissante, et s’engage dans le commerce équitable et bio. Voilà un exemple typique.

Max Havelaar a par la suite étendu son activité à une autre famille d’entreprises qui intervient sur de nombreux produits. En exemple, une entreprise peut fabriquer 30 variétés de chocolats et souhaite avoir une gamme équitable. Elle peut avoir produit une gamme bio qui a eu du succès, auprès de certaines personnes qui achètent bio pour leur santé et pour la planète. Ensuite, elle souhaite vérifier si certaines personnes achètent aussi « de la justice ». Elle vient nous voir pour rendre une partie de ses produits équitables. Dans ce cas, le dialogue est différent, puisque cette personne va continuer à acheter du café, du chocolat ou des ananas non-équitables pour une partie de sa gamme. Forcément, nous avons dû nous adapter pour pouvoir parler à ce type d’interlocuteurs. 

La troisième famille est constituée de très grandes et célèbres marques. Elles ne se sont pas construites sur l’équitable, mais sur des campagnes de publicité, sur une saveur exceptionnelle ou sur une image de marque, de santé, d’accompagnement des sportifs, etc. Ces entreprises ont dû cohabiter avec ce petit logo bleu, noir, blanc et vert qui attirait leur attention sur le juste prix. À ce moment-là, nous avons eu une troisième sorte de dialogue. Parmi ces grandes marques, nous avons Ben & Jerry’s qui est mondialement connue et qui pratique le commerce équitable pour ses glaces. Nous travaillons aussi avec 40 torréfacteurs en France qui sont des PME avec 10, 20 ou 30 salariés qui fabriquent un café délicieux. Ils ont ressuscité des saveurs que nous ne connaissions pas en leur donnant de la valeur et de la visibilité.

Nous parvenons, en effet, à respecter les gens lorsque nous les connaissons mieux.

M.S : Quelle est la vision de Max Havelaar avec cette image de marque mondiale ?

B.D : Certaines personnes pensent que Max Havelaar est une marque qui achète des produits auprès des fabricants. Ce n’est pas le cas, car nous nous contentons d’intervenir auprès des entreprises qui veulent bien pratiquer du commerce équitable. Certains décident de partir, car ils payent au-dessus du prix du marché. Quelques entreprises avec lesquelles nous travaillons achètent depuis deux ans 60 % au-dessus du prix du marché. Leurs concurrents, de leur côté, font des campagnes de promotion avec du café à bas prix en dessous du prix de production. Au final, ce n’est pas simple pour les entreprises qui sont courageuses et engagées de se lancer dans ce domaine. C’est d’ailleurs cela qui fait leur beauté.

En termes de perspective, nous sommes arrivés à un tournant, un point où nous pourrions devenir une sorte de nouvelle norme un peu généraliste.

Cela signifie que tout le monde a pris conscience du fait qu’il n’est plus concevable d’acheter des produits non-équitables sans faire attention. Ces dernières années, l’huile de palme a eu du succès dans les médias et aujourd’hui, plus personne n’ose  trop l’utiliser. Nous sommes en train de découvrir une espèce de phénomène de société. Certaines entreprises équitables mettent sur leur paquet de chocolat « Chocolat sans esclavage », comme Tony’s qui arrive en France. De cette façon, le produit c’est le message : la marque est définie par le produit et le message.

Nous aimerions bien franchir ce cap, afin que cela devienne une évidence. Il ne faut plus que les quelques entreprises en retard continuent à vendre des produits low-cost où les personnes et l’environnement sont maltraités. C’est notre rêve et nous sommes à la frontière de celui-ci, parce qu’aujourd’hui, 10 % de la production mondiale de café ou de cacao est certifiée équitable.

Malheureusement, nous n’arrivons à en vendre que la moitié avec le label. 

Notre premier défi dans ce cas est de réussir à vendre tout ce qui est certifié en équitable.

Dans les bananes, cela se passe très bien, car nous vendons tous les produits avec les exploitations. Dans le cacao et le café, c’est donc un peu plus dur. Il faut plus de débouchés, plus de clients. Moi, je conseille à notre équipe de voir ceux qui font de l’équitable pour en produire le double.

M.S : Chez Max Havelaar, est-ce qu’il y a une équipe qui est dédiée à la recherche de débouchés pour chaque client ?

B.D : Tout à fait, nous avons une responsable Bananes qui s’appelle Alice, elle est tous les jours en lien avec 40 entreprises en France. Elle essaie de voir comment les aider à développer leur marché. Je vais alors lui conseiller de leur demander de vendre le double de bananes. Les paysans l’ont produit, ils ont fait leur part de travail, maintenant, aux entreprises de les vendre. Seulement, les Français choisissent rarement la banane équitable. Par conséquent, Max Havelaar est renvoyé à ses études et effectue plus de communication. En 2020, nous avons décidé de faire un effort qui n’a jamais existé dans l’histoire de l’association, en étant vraiment très visibles grâce à une campagne dans le métro parisien. Vous trouverez sur les murs des métros l’incitation « Achetez cette banane » ou « Achetez ce café ». Nous avons également fait une campagne télévisuelle, dans les journaux, à l’arrière des bus, principalement en Ile-de-France. Nous espérons que dans quelques mois ou quelques semaines, ces campagnes prendront effet de manière à ce que beaucoup de ménages qui arrivent avec leur cadis choisissent tout de même le bac banane équitable plutôt que le bac banane traditionnelle.

M.S : Est-ce qu’il y a une raison particulière qui explique que vous ne soyez pas partis sur les autres produits historiques ou les nouvelles filières ?

B.D : Je vous confirme tout de suite que cette campagne est multi-produits : café, cacao, banane qui sont les trois grandes filières mondiales de Max Havelaar. Nous avons aussi d’autres filières moins importantes. Mais ce sont ces trois principales filières qui font le commerce équitable aujourd’hui. Effectivement, nous travaillons sur tous les produits, mais l’effort doit porter surtout sur le chocolat. Pendant les fêtes de Noël, j’ai été dans un supermarché et je suis resté pendant une demi-heure dans le rayon chocolat à regarder les nombreux paquets sur-emballés avec du plastique. Le chocolat est proposé sans aucune garantie. Ainsi, dans le cœur des consommateurs, il ne faut plus que cela soit possible de se faire plaisir ou de faire plaisir à d’autres sans tenir compte de cette garantie.

Le cacao est un sujet sensible. Ses fabricants sont aussi pauvres qu’en 1945. Cela signifie qu’ils n’ont pas pu changer de modèle, alors que l’économie mondiale s’est développée.

Chez Max Havelaar, la communication est au cœur de tout cela et nous utilisons les mêmes moyens que Sea Shepherd. Actuellement, nous venons de lancer un défi équitable avec les étudiants, en sachant que les étudiants et les personnes âgées sont les deux populations qui sont les plus sensibles à ce sujet. C’est peut-être sociologique, puisque les jeunes veulent changer le monde et heureusement. Les plus âgés ont, quant à eux, compris que le monde était vraiment terrible. Mais au final, rien ne remplace les quelques secondes passées dans un rayon à regarder s’il y a un label ou une garantie sur un produit, tout en faisant au maximum attention aux faux labels.

Nous avons besoin d’une consommation citoyenne. Il est impossible de concevoir que d’un côté, il y a une mondialisation totalement débridée et de l’autre côté une conscience de cette mondialisation à un niveau préhistorique.

En admettant qu’une mondialisation ultra-performante, ultra-smart, ultra-rapide où tout arrive du bout du monde existe, le consommateur doit pouvoir l’être également, pour que cela soit possible. Pour ce faire, il faut simplifier la tâche au niveau de la visibilité des informations.

M.S : Durant la période des fêtes, comment différencier les grandes marques Fairtrade de celles qui ne le sont pas ?

B.D : Peu de grandes marques sont Fairtrade, parce qu’elles trouvent leurs clients sur autre chose que les questions d’équitabilité. Tant que le client ne sera pas dégoûté, il n’y aura pas de réticence. Le jour où il y en aura, ces grandes marques le sauront immédiatement, car elles savent détecter le moindre frémissement d’une aile de papillon, la moindre personne réticente dans la consommation des boîtes de chocolat à Noël. De notre côté, nous sommes derrière et prêts à réagir. En général, elles nous contactent juste après sur la question du chocolat responsable et sur ce que nous pouvons faire pour elles. À ce moment-là, notre équipe de Nanterre, arrive chez elles pour leur expliquer le processus à mettre en place. Nous les rassurons sur le fait que tout est simple et que tout le monde y trouvera son compte, y compris leurs salariés.

Les grandes marques ont plutôt lancé une contre-offensive pour essayer de garder la maîtrise du commerce du cacao. Notamment avec les 10 % du café, nous commençons à être menaçants sur les règles dites « As usual », avec un marché organisé comme elles veulent. Ces grandes marques ont développé des sortes de pseudo labels internes qui n’en sont pas, puisque ces labels ne sont pas apposés par une personne extérieure qui vient vérifier, ou apporter une garantie au consommateur. Ils sont apposés par le salarié de l’entreprise elle-même. Par exemple, une entreprise suisse de chocolat affirme par elle-même que son chocolat est durable et en lui attribuant un « label » qu’elle a elle-même créé… quelle objectivité et fiabilité est garantie au consommateur final ?

Nous attendons beaucoup des pouvoirs publics et des consommateurs pour mettre en place une alliance visant à démasquer les faux labels ou l’auto-labellisation afin de défendre le modèle de la tierce partie.

À titre de comparaison, le bio est en train de transformer l’agriculture européenne et nos actes d’achat.

Le bio et l’équitable fonctionnent, et il faut miser là-dessus.

Je vous cite un contre-exemple. Il existe une PME française, et ce n’est pas la seule, qui s’appelle Chevalier d’Argouges, basée dans la Manche avec une dizaine de salariés. C’est l’exemple d’une démarche vertueuse que l’on trouve en grandes surfaces avec un label bio, un label Max Havelaar. Ils font de délicieux ballotins, de délicieux chocolats de Noël à prix tout à fait abordables. Ils sont visibles et sont les seuls, pour revenir à mon analyse de dimanche au supermarché, que j’ai vu vraiment en avant. Il existe également d’autres références : Valrhona, les chocolats Bovetti qui sont dans les réseaux bio et qui sont bien connus.

M.S : Est-ce que vous discutez aussi avec la GMS et les distributeurs, comme Carrefour dont la raison d’être affiche une volonté de "transition alimentaire accessible à tous" ?

B.D : Bien évidemment, nous parlons et nous faisons des produits avec eux, comme le Café Carrefour qui porte le label Bio et le label Max Havelaar en même temps. Nous avons 10 références de café et beaucoup de distributeurs de café. Par contre, nous sommes relativement agnostiques, et neutres. Nous sommes un tiers, néanmoins, je peux vous garantir que le cahier des charges, cette fameuse feuille sur laquelle nous avons écrit les règles d’un nouveau commerce, est exactement la même pour Carrefour, pour la petite PME en région ou pour celle au fin fond de l’Angleterre. Lorsqu’un grand le fait, tant mieux pour les producteurs, car il y aura plus de café qui sera vendu. Lorsqu’un petit le fait, tant mieux pour les producteurs, car les petits ont souvent une histoire qualitative, territoriale à raconter. Les Chevaliers d’Argouges, c’est typiquement une PME française qui a une histoire gustative et qualitative juste excellente. D’autres grandes marques ne peuvent pas s’aligner sur des chocolats de cette qualité. Chacun fera son chemin, que l’entreprise soit grande ou petite. Notre idée est d’offrir du choix et de changer d’échelle. Nous sommes en 2020 et il y a des poches de misère qui touchent des dizaines de millions de personnes. On assiste à la déstabilisation des régions. La Côte d’Ivoire est souvent évoquée dans les journaux avec ses problèmes d’élections, la guerre civile dans le nord qui dure depuis 5 ans. Par contre, personne ne fait le lien avec le cacao. Ce pays est le premier producteur mondial de cacao avec 50 % de la production mondiale. À votre avis, n’y aurait-il pas un rapport ? Bien évidemment que oui. Et pourquoi ce pays est-il aussi pauvre qu’en 1945 ? Parce qu’aucune règle ne le protège et lui donne un filet de sécurité.

La solution est dans un changement d’échelle et maintenant cela doit devenir une nouvelle norme.

Pour répondre à votre question, dès que les consommateurs réagissent, les grandes marques également. Dès que le consommateur baisse la garde et commence à confondre le faux label et un autre comme Max Havelaar ou comme le label Bio, elles vont à leur tour baisser la garde. Nous avons une histoire récente un peu triste avec une barre chocolatée (Kit Kat) mondialement connue qui avait, par miracle, mis le logo Fairtrade en Angleterre. Finalement, une personne de chez eux voulait du cacao moins cher et ils ont retiré le label. C’est un échec pour nous, mais nous nous en remettrons, parce que le mouvement est irréversible.

Encore une fois, nous avons mesuré en pleine période de Covid 19, le degré de conscience des gens sur la consommation responsable. Ce dernier tient bon. Si bien qu’on s’est rendu compte qu’il pouvait y avoir des ruptures d’approvisionnement, les consommateurs se rendent compte que ces produits viennent de quelque part et de quelqu’un. Et là, le chemin est vite tracé vers l’agro-écologie, le bio et l’équitable. 

M.S : Comment se passe la labellisation ? Et quelles sont les actions de communication marketing que vous avez lancé en B2C ?

B.D : Plusieurs dizaines d’entreprises nous ont rejoints en un an. En ce qui concerne la communication marketing, notre problème principal est les moyens. Des milliers de produits se disputent le cerveau disponible des consommateurs à travers des médias très forts. Pour citer un exemple, une entreprise comme Renault dépense 450 millions d’euros de publicités par an. Le budget de Max Havelaar est de 300 000 euros par an. Par rapport à Renault, nous disposons de moins d’espace à la télévision. Notre premier défi est d’être plus malin en trouvant des techniques innovantes, des slogans qui parlent au cœur des consommateurs, en comptant sur le bénévolat, le bouche-à-oreille, la dissémination virale par les réseaux sociaux.

Nous aimerions également avoir de grands ambassadeurs.

Le fait de ne pas avoir d’ambassadeurs, parmi les people, les influenceurs, qui donnent des exemples aux jeunes générations est un regret, un échec pour nous. Quelques-uns d’entre eux nous soutiennent, mais pas assez.

Nous aimerions que quelques stars parlent de nous, comme c’est le cas au Royaume-Uni ou en Allemagne où Stella McCartney a réussi à populariser les vêtements qui ne font pas de mal aux animaux. De telles personnes pourraient nous faire changer de dimension. Heureusement, nous en avons dans le café avec Georges Clooney qui a accepté de soutenir à partir de 2013 le café Fairtrade. Il a fait un peu de publicités et apporté son soutien pour cela. Mais tout cela n’est pas suffisant.

Le deuxième moyen principal est en B2B, plus technique, mais le cœur de Max Havelaar est de réussir à proposer un partenariat à des acteurs économiques. Forcer une entreprise de l’économie sociale à trouver des clients pour vendre un produit n’est pas très recommandé. Nous sommes très à l’écoute. Notre défi est d’écouter l’entreprise pour savoir ce qu’elle est prête à faire, et ce qu’elle peut faire afin de promouvoir ensemble l’équitable.

Le troisième défi en communication est de jouer la carte de l’éducation. Nous avons développé un label pour les écoles, les universités et les villes équitables. Il est présent dans toute l’Europe et en dehors de la France, ce sont les “Fairtrade Towns”. En France, il en existe une petite quantité, mais en Allemagne et en Angleterre, il y en existe des centaines. Pour vous citer un exemple, un de nos salariés en arrivant à Glasgow pour ses vacances a bien remarqué un panneau avec le logo “Fairtrade Town”. Cela signifie que la ville de Glasgow s’est engagée à :

  • le mettre dans ses achats publics pour les cantines,
  • le faire pour la restauration collective,
  • faire de la publicité sur l’affichage municipal,
  • et le promouvoir dans les associations sportives.

En Allemagne, les clubs de foot ont choisi non seulement des ballons Fairtrade, parce qu’ils ont été fabriqués dans des usines certifiées au Pakistan, mais aussi le café et les bananes équitables pour les sportifs.

Nous pouvons disséminer nos messages par plein d’autres moyens, par rapport aux grandes campagnes de communication des grandes entreprises. Nous avons un allié qui est une cause d’intérêt général.

Certaines personnes gagnent leur vie avec des produits Fairtrade et tant mieux. Il est essentiel que le paysan gagne sa vie avec son café sans négliger que le torréfacteur français gagne sa vie avec son café équitable.

Mais au fond ce qui nous relie, c’est cette petite flamme d’engagement que l’on retrouve chez les cafés Malongo.

Nous pouvons sentir que ce n’est pas tout à fait pareil dans la manière d’en parler et de se démener pour que cela existe, c’est le petit plus. C’est ce qui les différencie des autres vendeurs de produits moins attachés à l’intérêt général.

Fairtrade Max Havelaar

M.S : Tiens, faisons un focus sur Linkedin. Comment vous l'utilisez, vous qui parlez beaucoup aux entreprises ? Quel en est le but pour une association comme la vôtre ?

B.D : Le premier but est d’aller à la rencontre des décideurs économiques. Sur LinkedIn, vous pouvez trouver des acheteurs des différentes enseignes qui cherchent une référence de café équitable. En voyant que leur communauté de pairs est réceptive à la question de l’équitable, que ce sont des filières d’avenir, ils se décideront à se lancer. Si un acteur économique sent que c’est la tendance dans son milieu professionnel, il va la suivre pour ne pas être décalé sur la tendance de fond, et être considéré comme un mauvais stratège.

En deuxième, il y a beaucoup de jeunes diplômés, de jeunes générations qui, contrairement peut-être à leur père ou à leur grand-père, ne veulent pas d’un seul aspect dans leur réussite personnelle, ils en veulent plusieurs. Ils veulent à la fois faire un métier passionnant et gagner leur vie tout en y mettant du sens. Cela est incroyablement fort, et certains en parlent mieux que moi. Et justement, nous souhaitons que les talents viennent chez Max Havelaar. Nous avons une petite équipe, dont 30 en France, 80 en Angleterre, 90 en Allemagne, et un total d’environ 1000 personnes qui travaillent pour le mouvement Max Havelaar dans le monde. Ce sont des personnes qui au début peuvent faire carrière en France, même si j’en ai perdu deux l’année dernière pour rejoindre la fédération Max Havelaar Monde. Ils travaillent sur l’écriture ou la révision des cahiers des charges, sur le calcul des prix qui évoluent, et ainsi de suite. Ils font des métiers tout aussi passionnants à l’international. Ces jeunes talents peuvent également partir sur le terrain, puisque chez Max Havelaar, contrairement à la plupart des certifications qui sont juste des inspections, nous avons des réseaux sur le terrain. Ces derniers sont composés de personnes qui sont aux côtés des producteurs, qui les représentent comme à Abidjan, à Accra, au Salvador et à Rio. Ils ont une étiquette, un badge et défendent le mouvement Fairtrade dans le monde. Ils peuvent aussi évoluer au sein de l’organisation, comme c’est le cas d’un Français que nous connaissons bien qui a passé du temps à Lima au Pérou, qui vient de revenir à Paris et qui navigue dans le mouvement Max Havelaar.

Dans le réseau LinkedIn, il y a aussi beaucoup de responsables RSE. La RSE est un grand thème et l’équitable prend une place croissante dans ce domaine. Je dirais qu’après le climat, c’est sans doute l’enjeu de demain, puisqu’en réalité, les choses se rejoignent. On demande aux acteurs de transformer leurs pratiques pour être climato-compatibles alors que :

  • ils ont un nœud coulant autour de la gorge,
  • ils n’arrivent pas à vivre de son métier, parce qu’on lui achète à vil prix ses productions,
  • leurs marges sont trop étroites,
  • ou encore ils sont maltraités dans la relation de commerce.

Notre proposition est profonde en termes de stratégie de changement. Elle consiste à dire : « Là où vous mettez de l’équitable, il faut d’abord desserrer le nœud coulant, se respecter, donner une rémunération correcte pour ce qui est fait. Nous rendons le reste possible. »

Nous sommes finalement un objectif des Nations Unis qui dans la temporalité devrait précéder les autres. C’est grâce :

  • aux communautés qui vivent mieux que nous avons pu lancer une école de leadership des femmes.
  • à la mise en place de l’ODD 1 et 2 sur la faim et la pauvreté que nous rendons possible l’objectif N°5 : promotion des femmes, égalité des genres.
  • à la réalisation de l’objectif N°1 et 2 : pauvreté et faim zéro que nous allons pouvoir développer ou donner des aides à ceux qui développent des programmes anti-déforestation.
  • L’ODD 12, l’ODD sur la mer, et les autres, nous intéressent également.

Nous pensons avoir notre place dans le réseau professionnel, parce que tous ces acteurs qui font l’actualité du développement durable cherchent avidement des stratégies de changement d’échelle rapide.

Nous n’avons plus le temps pour des stratégies qui mettent dix ans à s’implémenter. Chaque jour qui passe, c’est l’horloge climatique qui sonne comme un rappel. Voilà les raisons pour lesquelles nous sommes actifs sur ce réseau professionnel et nous espérons que nos followers le sont aussi.

Au départ, nous avons fait tout cela nous-mêmes. Actuellement, nous travaillons avec une consultante indépendante qui vient de ce métier, Anne Courtois-Degorce. C’est elle qui a coproduit l’étude “Finance for tomorrow” sur les métiers de la finance responsable.

Très vite, nous avons eu à cœur de montrer que c’était de vrais métiers avec de vraies compétences et le salaire associé. Et puis, nous faisons beaucoup de réseau, c’est-à-dire que nous sommes très présents chez entrepreneurs d’avenir, le réseau Bcorp dont nous sommes labellisés, parmi la communauté des entreprises à mission, et les personnes qui s’intéressent à la RSE et au développement durable. Nous faisons également des entretiens avec des candidats, même si nous n’avons pas de poste derrière.

Nous sommes surtout une communauté, les candidats deviennent nos clients et nos clients deviennent des candidats qui nous aident beaucoup à grandir.

M.S : Est-ce que vous auriez un conseil à livrer sur la manière de développer l’impact positif que ce soit en entreprise ou dans ce type d’association ?

B.D :

C’est très banal, mais n’attendez pas d’être validé par tout le monde pour avancer.

Si nous avions attendu que les gouvernements comprennent ce que nous voulions faire, nous n’existerions pas. Aujourd’hui, ce sont les gouvernements qui nous imitent. De ce fait, je pense que les entreprises sociales de demain doivent inventer de nouveaux business modèle qui respectent la planète et elles doivent l’imposer, parce qu’elles sont dans le sens de l’histoire. Par conséquent, n’attendez pas les validations, même en étant jeune ou au démarrage. Il faut foncer, garder son intuition stratégique, aller chercher des parrainages, mais non des validations de tout un chacun, sinon vous n’y arriverez pas.

Deuxième chose, ne ratez pas le train de l’équitable.

Menez des programmes de progrès social et de développement durable, en ayant cette petite lumière de demander à une personne de ne pas couper les arbres dans les forêts, de respecter l’égalité homme-femme, de ne pas faire travailler les enfants, de ne pas pêcher dans une zone de pêche protégée, si elle vit tout simplement, ou qu’elle peut nourrir sa famille. Nos grands géo-politiciens oublient la plupart du temps de se poser cette question basique. Pour finir par des opérations pseudos militaires avec des anciens pêcheurs transformés en pirates. Il faut toujours se demander si la personne peut vivre et garder sa dignité. C’est cela que le modèle du commerce équitable a mis sur le devant de la scène. C’est sur ces bases que nous pouvons construire des modèles de développement durable. Il ne faut pas croire que le commerce équitable viendra à la fin, quand on aura réglementé la question climatique et la question environnementale.

M.S : Est-ce que vous auriez une entreprise à recommander pour notre prochain podcast sur le business positif ?

B.D : Je trouve très intéressant les modèles intégrés qui essaient de faire en sorte que toutes les cibles du développement durable se nourrissent l’une l’autre. Vous avez une très belle entreprise de distribution comme Biocoop qui essaie de faire du 100 % bio, sur les fameux quatre axes dont je vous parlais, un maximum de santé, de local, de bio, et d’équitable.. Parmi les PME, j’ai cité Bovetti en Dordogne qui fait du développement local par l’embauche, préserve un savoir-faire chocolatier, défend même du territoire en ayant le plus ancien musée du chocolat de France qui est accolé à l’usine Bovetti. Donc, je vous encourage à interviewer Valter Bovetti, il aura des choses à vous dire.

Mais encore Jean-Pierre Blanc qui a réussi avec les cafés Malongo à avoir un succès incroyable auprès de tous les foyers français. Quand vous allez dans un supermarché en fin de journée le samedi soir, là où il n’y a plus de produits, ils sont tout au fond, c’est la boîte des petits producteurs, c’est sans doute la référence la plus connue, la plus appréciée des Français. C’est aussi une personnalité marquante qui pourra vous en dire beaucoup sur comment lui, étant torréfacteur, a été obligé de recréer un lien auprès des communautés de l’amont de sa production, à court-circuiter les grands négociants qui font la loi sur le marché pour avoir un lien humain, éthique, affectif avec des communautés productrices au Laos et ailleurs, et faire renaître dans des endroits des cafés qui avaient quasiment disparu, faute d’un acheteur équitable.

M.S : Merci beaucoup pour cet échange et ces belles références d’entreprises.  À bientôt !

Melody Schmaus, agence CAUSE

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