Parler empreinte carbone et stratégie de développement avec FAGUO, marque de baskets française, était un réel plaisir.
Romain, responsable de la communication, et Nicolas Rohr, co-fondateur, m’ont reçu « à la Faguo » : belle énergie, dynamisme, bonne humeur, tous ravis qu’ils étaient, en plus, d’avoir à peine déménager leurs locaux de Paris à Nantes !
Comme il le dit, placés « au cœur d’un doux mélange entre le passé et l’avenir, avec ces Machines de Nantes et des immeubles très modernes designés par des prix prestigieux ».
On commence donc cette CAUSERIE en parlant environnement de travail et vision. Car oui, les deux sont liés ! Et au bout de 10 ans de boite, en se demandant sérieusement « les 10 prochaines années, elles vont ressembler à quoi ? », ils ont réalisé que dans leur tête, elles ne ressemblaient pas à Paris.
Je retrouve donc Nicolas peu de temps après ce « gros changement de vie », à 30 minutes à vélo de la première forêt FAGUO, pour une interview passionnante qui retrace l’histoire de la marque, la place de l’eco-responsabilité dans l’entreprise, le parcours de ses fondateurs, les stratégies gagnantes (et sincères) qui les ont amenés à une entreprise engagée et rentable, avec 65 salariés.
PS : je n’ai pas abordé la question du rachat de FAGUO, non pas parce que je ne le souhaitais pas, mais parce que le temps a filé. Cela aurait sans doute amener encore d’autres éléments de réflexion, mais n’est pas manquant pour comprendre l’impact et l’approche de cette entreprise française à succès !
L’Homme des bois », l’origine de l’entreprise
Par tradition, un arbre a été planté pour la naissance de Nicolas. Symbole de durabilité, de fraîcheur, de génération, il était le parfait représentant de la marque, créée il y a 10 ans avec son co-fondateur Fred.
Leur but ? Créer un produit sur un marché où les marques ne faisaient pas trop bouger les lignes.
A l’époque, on parlait surtout des stars qui mettaient des baskets, tout le monde portait la même chose, ils sont partis défrichés le terrain à la recherche de quelque chose de différent.
Avant tout, ils voulaient une basket sympa, mode, dynamique et responsable, les 3 valeurs de leur génération. Aucun compromis entre ces 3 valeurs qui sont ancrées dans l’ADN. Sans être parfaits, ils tendent à être toujours plus alignés avec elles.
L’empreinte carbone taxée : une prise de conscience
La taxe carbone lui fait prendre conscience du lien direct entre dérèglement climatique et excédent de CO², et du mécanisme de compensation carbone.
FAGUO est ainsi la première marque de France à commander un bilan carbone prévisionnel, avant même de démarrer la fabrication.
Ils ont tout calculé : où se trouvait la production, le transport, les bureaux et leur chauffage, leurs déplacements, l’utilisation des groupes Facebook…Tout y est passé pour faire ce premier bilan sur leur future empreinte carbone.
Suite à la réception de ce document, ils se posent 2 questions :
– comment réduire les émissions de CO² ?
Par la diminution des emballages, de leur épaisseur, du transport, de leur transport à eux
– comment compenser les émissions de CO² non réductibles ?
En effet, le produit allait quand même émettre 9kg de CO² par basket. C’est là que l’arbre est intervenu, et c’est ainsi qu’en 2009, ils décident qu’un arbre serait planté pour chaque paire de chaussures.
Comment créer une basket quand on y connait rien ?
La réalité, c’est que la première basket FAGUO a été dessinée sur…Paint ! Ils l’ont imaginée de bout en bout, avec l’aide de copains qu’ils questionnaient fréquemment pour comprendre leurs goûts.
Une fois le dessin réalisé, le business plan a montré un besoin de financement de 50 000 €. Ils ont donc fait un prêt étudiant à la banque, sans dire à quoi serviraient réellement les fonds (ils étaient encore étudiants). Ils ont en parallèle réussi à collecter le reste de la somme auprès de 12 amis fous, convaincus par un Power Point (ils les remercient encore), qui ont mis à l’époque, à 22 ans, entre 500 € et 1500 € chacun.
Comment distribuer une nouvelle marque ?
Nicolas et Fred ont tout appris sur le tas, avec beaucoup d’enthousiasme, de curiosité, et sans aucune crainte de paraître ridicule. Ce qui les a beaucoup aidé !
Ils ont commencé dans le milieu de la mode sans connaître les notions de HT, TVA, TTC, les saisons, …
Les magasins qu’ils visaient comme Colette, Citadium ou Printemps à Paris, étaient très frileux à l’idée de les accueillir.
Ils ont donc fait autrement : grâce à leur réseau de copains disséminé en France, ils ont pu faire des ventes privées dans des appartements, organisées via Facebook… et ont vendu les 5000 paires commandées à leur fournisseur !
Tout cela en ayant toujours en tête leur empreinte carbone, calculée avant même de passer la commande.
La règle d'or : parler du projet au plus grand nombre !
Ils parlaient de leurs baskets à tout le monde, tout le temps. De l’aspect mode à l’aspect responsable et au calcul de l’empreinte carbone, ils enrichissaient en permanence leur projet, grâce à tous les retours qu’ils recueillaient au fur et à mesure.
Des idées supers ont été trouvées en parlant en soirée, en demandant aux gens ce qu’ils en pensaient !
Entre septembre 2008 et janvier 2009, ils carburent en communication : ils demandent à tout leur entourage de parler du projet, de s’abonner à leur groupe Facebook, de partager un maximum.
Et ça a marché ! ils se sont retrouvés à avoir plus d’inscrits aux ventes dans les appartements des copains dans les villes, que de paires à vendre.
Qu’est-ce qu’on fait, une fois qu’on a son « product market fit » ?
Chez Faguo, c’est simple : on retourne voir les magasins traditionnels, conscient que le modèle des ventes privées en appartement n’est pas viable à long terme.
Pour avoir des preuves, ils avaient invité les équipes de ces magasins pendant les ventes privées pour qu’ils voient le monde qui faisait la queue (Kiliwatch par exemple a joué le jeu).
C’est en expériementant qu’ils ont appris leur métier, avec le coefficient de 2,5, et la différence entre le prix HT et le prix TTC. D’ailleurs, la première fois qu’ils ont vendu des baskets à Kiliwatch, ils pensaient en TTC !
Comme quoi, cela montre bien qu’aucune erreur n’est impardonnable, et qu’il vaut mieux passer à l’action, que de ne rien faire par peur de se tromper.
Une peur : tomber dans l'oubli
Pour éviter de faire un simple « coup », le duo se diversifie, développe plus de produits, pour les magasins et pour les clients.
Le tryptique autour de l’empreinte carbone n’est pas oublié pour autant :
– Mesure des émissions de CO²
– Réduction des émissions de CO²
– Compensation
Le bilan carbone se fait d’ailleurs tous les 5 ans chez FAGUO, et plus d’1 million d’arbres ont déjà été plantés.
Produire en Asie
Faguo veut dire France en chinois, car le duo veut dès le début assumer la provenance de ses produits.
Ils ont d’ailleurs eux aussi (cf épisode avec Julia Faure de Loom) eu droit à un passage sur M6 il y a quelques années, dans lequel ils ont montré leur usine en Chine. Le journaliste n’avait à l’époque rien eu à redire. 😉
Leurs usines sont labellisés BSCI, qui est un vrai moyen de coopération entre la marque et l’usine. C’est un audit sur toutes les parties sociale et environnementale, et l’usine est notée.
Ce label garantit notamment le non-travail des enfants, et un salaire supérieur au salaire minimum du pays. Il regarde l’énergie utilisée par l’usine, le traitement des déchets, ou encore la présence d’un syndicat.
Evidemment, rien n’est jamais parfait, mais c’est un terrain de confiance qui permet de faire grandir et progresser tout le monde. Par ailleurs, Nicolas et Fred se rendent régulièrement dans les usines pour comprendre le fonctionnement, et toujours s’améliorer.
Communiquer puis faire, ou faire puis dire ?
C’est le bouche-à-oreille et la débrouille qui ont fonctionné pour FAGUO au début, et la communication a au final continué sur cette même lancée.
J’ai pu sentir une réelle envie de faire ce qu’ils disent, et de bien faire. Que ce soit en terme de qualité esthétique de produit, et de conscience de l’impact de l’entreprise sur son environnement.
Pour aller plus loin dans la démarche, et avec un esprit collectif, puisque les idées sont aussi générées par les équipes, FAGUO a au fur et à mesure mis en place des bornes de tris dans ses boutiques pour collecter et sensibiliser les gens au recyclage.
D’ailleurs, depuis l’enregistrement de cet épisode, ils ont lancé leur une gamme de chaussures à 75% recyclées.
Enfin, FAGUO se fournit en électricité verte chez Enercoop, propose des emballages 100% recyclés et recyclables, et continue en permanence d’apprendre.
L'équipe de FAGUO
Tout le monde est sensible à l’aspect environnemental dans l’équipe. Certains sont là depuis les débuts, d’autres viennent et repartent, enrichissant l’entreprise de leurs expériences.
Entre les championnat de baby foot mixtes (les joueurs du baby foot aussi sont mixtes !), les petits déjeuners découverte tous les 3 mois pour parler de son métier à une des 65 personnes de l’équipe, et les séminaires en forêt FAGUO à danser jusqu’à 5h du matin, les équipes sont vraiment prises en considération
La vision
FAGUO n’a pas pour envie de dominer le monde, mais plutôt de grandir sereinement, solidement, comme un arbre.
« Grandir tranquillement avec des bases solides, bien sur terre, et avec la tête dans les nuages. »
Car la mission de FAGUO est aussi de recréer le lien distendu entre nature et ville.
Parlons un peu digital…
Le e-commerce
C’est un site WordPress, les fiches produits sont très denses et expliquent l’engagement de l’entreprise. Ils ont notamment mis cela en place après avoir réalisé que seulement 3% des gens regardaient leur page Notre Mission.
L’acquisition de nouveaux clients
FAGUO bénéficie d’une notoriété organique et de retombées presse du fait de son engagement. Ils investissent très peu en communication, notamment parce que le prix de vente est juste, et ne permet pas d’avoir des budgets marketing conséquents. Les réseaux sociaux et les emailings sont utilisés, mais ce sont surtout les gens qui les portent et en parlent, devenant ainsi des ambassadeurs naturels.
Quelques mots sur la rentabilité aussi…
C’est un point d’honneur, ils souhaitent être rentables car :
– ils veulent durer : cela permet d’emprunter auprès des banques
– ils veulent fournir une vraie sécurité pour les salariés (comment se sent-on dans une entreprise comme Uber qui perd 2 milliards de $ par an ?)
Pour Nicolas Rohr, une entreprise doit être rentable, il ne faut pas avoir peur de ce mot.
Pour autant, ils s’inscrivent effectivement dans ce mouvement du « consommer moins mais mieux », et ressentent une vraie dichotomie, qu’ils continuent d’explorer.
Quid des invendus ?
FAGUO fonctionne sur un système de collections. Ils ont donc des invendus à chaque saison, pour lesquels ils organisent des soldes. Car c’est bien là la fonction des soldes, prévues à des périodes bien spécifiques de l’année.
C’est dangereux pour une entreprise de garder ses stocks, pour sa trésorerie notamment, donc c’est un mécanisme vertueux.
Ils ne font pas de promos entre les périodes de solde, alors qu’il y a des grandes marques avec de belles boutiques, qui vont afficher le prix à 800 € pour un manteau, pour ensuite faire des opérations promotionnelles à 500 € hors solde. Et ça, « c’est une stratégie aberrante ».
C’est un point qui m’interrogeait particulièrement, notamment grâce aux échanges avec Francis-Edouard Pollet de Cigoire, qui est anti-solde. Tout cela alimente la réflexion. 🙂
Les prochains défis
Aujourd’hui, FAGUO grandit grâce à ses 300 revendeurs en France et 200 étrangers, l’idée est donc de continuer sur cette lancée.
La partie retail avec les magasins en propre, en franchises et en corner Grands Magasins est un autre axe de développement.
Enfin, le web est le 3e segment devenu incontournable, qui est un gros défi pour l’entreprise aussi.
Le conseil de Nicolas Rohr de FAGUO
Restez dans une position de curiosité, demandez autour de vous, soyez malin.
Ne faites pas de compromis entre la mode, le produit et sa responsabilité. Aujourd’hui ça doit être intrinsèquement lié, pour le business et pour l’avenir de la planète.
Parlez de votre projet tout le temps et à tout le monde : « Soyez des haut parleurs de votre projet ».
Enfin, si vous voulez vous lancer, n’attendez pas l’idée du siècle, tout est à réinventer.
Nicolas recommande ses modèles
Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia
Les Lemarchand de Nature & Découvertes
Il aime les gens qui vont contre les vagues sans être des ayatollah, qui ne font pas culpabiliser, mais qui font changer les choses par leur exemplarité.
Enfin, voici le lien de la fondation Good Planet qui a assuré le bilan carbone
Merci pour son enthousiasme, sa curiosité et sa volonté profondément inspirants !
Melody Schmaus, agence CAUSE
Marketing digital et RSE pour un impact positif