Notre podcast Business Positif a accueilli Emmanuelle LARROQUE, fondatrice de l’entreprise sociale Social Builder, pour l’insertion professionnelle des femmes dans les métiers du numérique.
- Ce qu'est une entreprise sociale.
- Comment mettre en place des idées actionnables
- Comment résister à une crise comme celle du COVID
- La mise en place d'une culture du feedback pour ne pas se reposer sur ses acquis
- L'intégration d'une démarche systémique en interne pour se développer
- L'émancipation des femmes
Melody SCHMAUS : Est-ce que tu peux me parler de toi et de ton parcours ?
Emmanuelle LARROQUE : J’ai mis du temps à découvrir ma passion, mon envie. J’ai fait une belle école de commerce et je me suis, retrouvée dans des systèmes d’info. J’y ai appris plein de choses, mais, au final, assez rapidement, je n’ai plus trouvé de sens.
J’ai démissionné, puis j’ai fait une formation en sociologie des organisation, à Dauphine, et j’ai découvert le « genre ». Je n’avais jamais réalisé que mon métier pouvait être lié à ça. Ce sont alors dessinées tout un tas d’expériences et je suis repartie dans l’entrepreneuriat. C’est vraiment ce qui me plaît.
En fait, je fais partie de cette génération qui a testé plein de choses très vite et qui a un moment s’est posée.
M.S. : Depuis combien de temps l’entreprise existe-t-elle ?
E.L. : Social Builder existe depuis 10 ans. La vie m’a enseignée que c’est dans la durée qu’on construit des fondations solide, qu’on apprend son métier, qu’on innove et qu’on fait des choses qui font bouger les lignes.
Je me suis donc révélée et je suis passée du sprint au marathon.
M.S. : C'est quoi Social Builder aujourd'hui ?
E.L. : Social Builder est une organisation qui veut permettre l’insertion professionnelle des femmes dans le numérique. On veut vraiment contribuer à créer les conditions d’égalité femme-homme. Nous sommes dans une économie complètement renouvelée par la généralisation du numérique dans tous les aspects de notre vie, professionnelle et personnelle.
Nous sommes donc experts mais aussi créateurs de solutions pour les femmes. Nous voulons les aider à comprendre comment s’emparer du numérique au quotidien pour créer des projets puissants durables et nouveaux.
On travaille sur l’insertion professionnelle à travers l’entrepreneuriat et l’emploi. Notre approche est très particulière car on va partir des besoins des femmes, de leur réalité pour créer des opportunités à se réinvestir.
M.S. : Peux-tu me donner un exemple concret ?
E.L. : Pôle Emploi est venu nous voir il y a un an et demi avec un besoin : « travailler avec les femmes pour qu’elles investissent le numérique. Mais aussi qu’elles puissent s’inscrire dans un projet activable, viable avec une vraie formation qualifiante. »
On a donc monté un programme d’accompagnement à l’insertion professionnelle « horizon numérique ». D’une durée de 5 jours, il permet de travailler très concrètement un projet actionnable. Il est ouvert aux demandeuses d’emploi longue durée, de tout âge, tout horizon, toute qualification. Au final, 90% des femmes qui sortent de ce parcours vont reprendre une formation pour pouvoir rapidement activer un projet.
Un autre exemple très concret : le programme « Women in Digital », dans le département du 93. Nous avons dessiné avec la région, la communauté d’agglomération, la ville de Seine-st-Denis et le département du 93 un projet qui permet d’orienter 500 femmes sur les métiers du numérique. Nous en avons d’ailleurs accompagné 240 sur des formations qui mène vers des métiers de l’informatique.
C’est un programme assez long (2 ans d’accompagnement). Mais ce sont au final 500 femmes qui auront été pleinement formées et 240 en insertion professionnelle concrète.
M.S. : Comment réfléchissez-vous au lancement des programmes ?
E.L. : Nous sommes un acteur du « faire ». C’est dans notre ADN inscrit très profondément.
A chaque fois qu’on monte une action, on se pose la question de l’indicateur de performance.
On s’est fait accompagné par des incubateurs, des spécialistes de l’impact, on analyse tout ce qu’on fait. C’est un travail en continu, notre modèle nécessite une vision de la structure, de l’impact global et de son positionnement. C’est énormément de test and learn.
Nous avons mis pratiquement 1 an et demi, pour trouver les 20 000€, afin de former la première promotion de notre premier programme d’accompagnement. Quand on allait voir de potentiels financeurs, ils nous disaient : « vous promettez aux femmes une insertion professionnelle dans un milieu où il n’y a pas de femmes, vous ne pourrez pas tenir vos promesses. »
Tous les actes d’innovation commencent de la même manière et font la même expérience du doute. Il faut être OK avec ça. Au début, on est très étonné que tout le monde ne partage pas notre vision du monde puis après on comprend.
En fait, nous, tous les créateurs et les innovateurs, devons prendre le temps de la pédagogie, de modéliser, d’expliciter, de faire.
La plus grande force, c’est qu’en faisant et en montrant que ça marche, on ne peut que les convaincre de nous rejoindre. Et ensemble, on ira beaucoup plus loin.
En Mars 2020, nous avons été frappé par le COVID, comme tout le monde. Nos solutions d’insertion professionnelle, qui étaient, essentiellement, du domaine de la formation, ne répondaient pas à la crise. Nous avions des femmes qui venaient nous dire qu’elles avaient postulé pour la formation mais dont l’urgence était de gagner leur vie tout de suite. Il fallait donc, pour elles, trouver ou créer un emploi très vite.
Nous nous sommes donc dit que nous allions travailler sur l’autonomie financière des femmes. Nous avons donc créé « Sun », accessible pour toutes les femmes, où qu’elles soient.
Ce programme leur permet de gagner une autonomie financière en trois mois.
On vient d’ouvrir le projet pour 240 femmes sur 3 sessions.
Dans la réalité, l’équipe a été très résiliente, elle a très bien réagi. Ce n’était pas facile mais on a passé le cap et on est ressorti encore plus fort, avec de supers projets. Je suis super fière.
Il faut être assis sur ses fondamentaux pour traverser une crise comme celle-ci. Tu peux avoir les plus beaux projets, il faut toujours se reposer la question en interne : l’impact, l’équipe, la mission. Il faut que tout ça te tienne en permanence.
M.S. : De combien de personnes l'équipe est-elle constituée ?
E.L. : Nous sommes une petite équipe (environ trente personnes) extrèmement efficace.
En effet, nous avons accompagné 55 000 femmes depuis 10 ans dont 35 000 femmes formées aux métiers du numériques.
Et nous continuons à nous challenger en permanence pour être encore plus efficace au quotidien, en travaillant avec les moyens à notre disposition.
Dans le domaine de l’impact, nous avons des talents engagés qui veulent changer les choses. C’est une grande chance !
C’est un vrai défi de développer une culture du dialogue où chacun peut contribuer même sur des espaces qui ne sont pas ses espaces de responsabilité. Cela doit être accompagné au quotidien pour être sur que ce soit bien fait. Il faut que ce soit entendable et entendu, et que ce soit dans l’intérêt du projet global. Et c’est un défi pour tous les leaders d’entreprises à impact. Il faut créer des conditions à la bienveillance interne mais aussi mettre en place une culture de feedback, pour ne pas se reposer sur ses acquis
Tu intègres de nouvelles personnes, qui doivent comprendre ce que tu essaies de défendre. Le recrutement doit être précis. Il ne faut pas se laisser embarquer par des circonstances économiques difficiles.
M.S. : Est-ce qu'il y a eu des grandes étapes dans le développement ? Des actions concrètes qui vous ont permis de faire connaître Social Builder et son idée d'insertion professionelle des femmes dans le numérique ?
On a connu deux pivots.
On existait depuis 5 ans et jusque là on était sur des questions d’égalité assez globales. En 2016, on a décidé de se dédier, vraiment, à l’insertion professionnelle des femmes dans le numérique.
Puis en 2017, on a complètement intégré une démarche systémique en interne. Et on a intégré la partie orientation, inclusion et accompagnement des partenaires autour de la formation.
Nous sommes passé d’une école à un projet très spécifique et nous avons eu de très bons résultats. Nous sommes arrivés à attirer, par milliers, des femmes sur des programmes de formations. Ça a tout changé car on était capable de montrer des résultats chiffrés assez exceptionnels.
Quand on a assis le modèle, ça nous a fait dépassé un cap.
Puis, a suivi la confiance de Pôle Emploi, qui a fortement appuyé notre programme, qui nous a donné de la visibilité.
Enfin, on a eu le soutien de différents organes de labellisation. Et à partir du moment où ils labellisent la démarche, ça débloque des choses.
Si dans l’équipe il y a eu une prise de conscience, ça a été quand moi je me suis dit « je suis en train de voir jusqu’où on peut aller ». Lorsqu’il n’y a plus de limite à la créativité et à la création, ça devient hyper puissant.
M.S. : Quelle est ta vision à long terme de Social Builder ?
Il y a 10 ans je voulais vraiment construire un acteur du changement, déjà à l’internationale.
Aujourd’hui, nous sommes sur la communauté des femmes et des professionnelles du numériques qui vont œuvrer pour un changement de paradigme. C’est très concret. Ça mettra autant de temps que cela doit prendre, ce ne sera peut-être plus moi, mais ça arrivera.
M.S. : Qu'est-ce qui a fait que le partenariat « She means business » sur Facebook autour du livre de Sheryl Sandberg s'est monté?
E.L. : » She means business« , c’est un partenariat qui a été pour nous une vraie plate forme de décollage de l’impact.
En 2018, on rencontre les équipes de Facebook France qui nous font part d’une ambition d’initier dans différents pays, notamment la France, quelque chose pour les femmes entrepreneures.
On leur a proposé de former 20 000 femmes sur le point de devenir entrepreneures qui souhaitaient que le digital soit un accélérateur de leur succès.
On l’a fait à l’échelle nationale, en digital et en présentiel. Nous avons reçu 2 000 femmes sur une journée au bootcamp à l’espace Grande Arche à La Défense. C’était des séquences très orientées « action », avec des tutos sur du marketing digital, du e-commerce…
Tu t’inscris dans une communauté, tu rencontres des gens qui ont des problématiques similaires ou qui t’apportent des connaissances. Ils vont t’inspirer. Et avec cette inspiration tu gardes le cap sur ton désir, ton engagement, ta volonté et ça change tout.
Aujourd’hui, on arrive à faire travailler les gens à distance. Des personnes qui ne se connaissent pas. On arrive à créer des endroits où les gens se mettent en lien rapidement, partagent des choses réelles. C’est ce qui est caractéristique chez nous. Nous sommes un activateur de communauté et de solutions d’apprentissage, de développement de projets des femmes.
Aujourd’hui, on doit aller chercher toutes les expertises possibles pour faire en sorte que l’être humain soit constamment centré sur son développement et sa capacité à faire un pas de plus.
Toute la culture des communautés d’apprentissage, le co-développement, les coachings collectifs c’est hyper fort et hyper transformateur. C’est ce qui permet d’aller très vite dans la montée en puissance des programmes.
M.S. : Qu'est-ce que représente aujourd'hui « She Means Business » ? Quel est l'impact au niveau de l'insertion professionelle ?
Avec « She Means Business » on a d’abord fait monter en compétence les femmes sur leurs projets. Puis, on a monté des communautés de femmes entrepreneures sur 50 territoires. Ensuite, on a formé des ambassadrices qu’on a encore fait monter en compétences pour qu’elles les distillent dans leurs territoires et qu’elles renforcent leur communauté. Et, aujourd’hui, on va monter sur d’autres compétences, plus techniques et technologiques. De cette façon, les femmes investiront le numérique comme terrain de jeu de création. Pour une insertion professionnelle durable.
A chaque fois, on monte un étage, et on forme des gens à faire ce qu’on fait. On passe du BtoC au BtoB, et c’est pour ça qu’on est un acteur système.
M.S. : Est-ce que tu peux nous parler des chiffres des femmes dans le métier du numérique ?
Le constat : les filières numériques sont celles qui sont le plus en développement. En effet, tous les métiers vont être réinventer. 80% des emplois vont être liés au numérique en 2035.
Seulement 26% des métiers du numérique sont occupé par des femmes, aujourd’hui, en comptant les métiers transverses. Et quand on regarde les métiers techniques, vraiment en lien avec les
sujets technologiques, numériques, c’est seulement 16%.
Donc, aujourd’hui, en terme d’emploi, de capacité à saisir tout ce que ce monde à offrir, il y a un gap
énorme à compenser.
On accompagne les acteurs à faire des écoles inclusives pour femmes et hommes mais il faut aussi donner envie aux femmes d’accéder à ses filières.
Le plein emploi féminin c’est depuis l’après-guerre. C’est à la fois rapide et lent. Mais ce qu’il faut garder en tête, c’est que le numérique est une nécessité. On vient de le comprendre avec le COVID.
Les femmes ont été les premières à se retrouver en difficulté à cause d’un défaut de connectivité, de matériel ou lorsqu’elles ont voulu s’exprimer en toute sécurité sur les réseaux sociaux.
En France, aujourd’hui, la destruction d’emploi concerne principalement les femmes (plus de 20% par rapport aux hommes).
Ce n’est pas qu’une logique de contribution à la marche du monde et de l’économie. L’insertion professionnelle dans le numérique est une question de nécessité. De la nécessité d’être vue, entendue et de faire porter sa voix dans le débat public. C’est aussi l’activation de tout le potentiel de sa vie et de pouvoir manger et/ou nourrir sa famille.
C’est aussi important de travailler à l’émancipation des femmes pour que demain on ait des technologie et des politiques économiques et sociales qui reflètent le besoin des femmes.
Si les femmes étaient impliquées dans la conception des voitures, ça ferait longtemps qu’il y aurait un espace pour mettre leurs sacs à main. Pourtant, elles décident à 80% de la décision de l’achat d’une voiture.
On a essayé de vendre l’égalité professionnelle avec un enjeu business mais ça ne marche pas. On est très en retard, en France, sur ce sujet.
M.S. : Est-ce que tu aurais des échecs ou des obstacles à nous partager ?
J’ai un tempérament de fonceuse, je me prends toutes les portes en pleine face. Mais la courbe d’apprentissage est très rapide.
Le temps de la transformation du projet, de la mutation, c’est un temps long. Donc, des projets comme Social Builder, où on va sur des changements profonds, nécessite de la pédagogie de la mobilisation, de l’alignement de l’engagement de moyen et il faut le prendre en compte.
À tout ceux qui ont cette énergie et la flamme du changement et qui ont envie d’un demain plus juste pour chacun et chacune : c’est long mais on va quand même pouvoir faire de grande chose.
M.S. : Des défis en 2021 ?
Le défi de l’international. Il va falloir qu’on transpose notre modèle à d’autres circonstances, d’autres besoins, d’autres réalités économiques locales, d’autres réalités digitales locales. Nous allons devoir produire de nouvelles expertises et de nouvelles formations.
On a ouvert un premier bureau aux Etats-Unis. Et aujourd’hui on va s’adresser au continent africain et à l’Europe, avec une proximité linguistique. La France va prendre la présidence de la communauté européenne l’année prochaine. Ce sera une super opportunité pour nous de travailler sur le projet européen et d’amener cette brique « femme et inclusion digital » sur la table. On espère que ça fera une vraie différence.
M.S. : Un conseil à nous donner ?
Pour gardez du souffle, toujours impliquer des nouvelles personnes dans le projet. Il n’y a rien de plus nourrissant que d’avoir une nouvelle conversation avec quelqu’un, dans un nouveau projet… Ce sont des gens qui apportent en permanence cette envie cette gourmandise, cette nouvelles vision du projet et ça nourrit énormément la créativité, ça permet d’être toujours dans la pédagogie. Toujours chercher du sang neuf.
M.S. : Aurais tu un film ou une musique qui représente ton état d'esprit concernant l'entrepreneuriat à impact ?
La chanson « Stronger » de Kenny West. Dans ce temps qui challenge notre résilience collective et individuelle elle aide à se rappeler que ce n’est pas la fin et que toute les journées sont encore à écrire.
M.S. : As tu une personne à me recommander pour le podcast ?
Claude Terosier de Magic Maker qui fait des ateliers d’apprentissage du code et de la programmation pour les jeunes.
M.S. : Un immense merci pour cet échange. J’ai appris plein de chose et j’en sors encore plus inspirée avec encore plus d’envie d’être dans l’action. J’espère que les auditeurs auront le même effet. Très belle continuation à toi et à Social Builder.
E.L. : Merci beaucoup de ton invitation et encore une fois bravo pour tout ce que tu fais pour passer la flamme à d’autres.